« Un fusil est plus efficace qu’un pinceau si l’on sait s’en servir. Pour ceux que le fusil rebute, le
pinceau peut-il être une arme ? J’en doute. Mais avec ce doute en moi, moi peignant par force majeure, je ne peux détourner les yeux des champs de bataille, des charniers, des villes assiégées, des tribunaux, des salles d’opération et de torture, tous lieux en ce monde où le monde se fait effroyablement vite sans moi, sans nous ».
Bernard Rancillac,
Lors de L’exposition « Le monde en question »,
dans Jean louis Pradel ,La figuration Narrative ,
Villa Tamaris ,Hazan,2000
Cette citation de Bernard Rancillac, Hélène Deghilage l’a faite sienne.
Artiste peintre lilloise, militante très liée à l’Afrique et à l’éducation populaire, elle présente à travers l’exposition Wall Street Walk une rétrospective du travail qu’elle a entrepris en 2012 autour de la question migratoire.
Ce qui surprend dans le travail d’Hélène Deghilage, c’est le traitement qu’elle fait subir aux images d’actualité dont elle s’inspire. Camps de transit, barques surchargées, corps abîmés, apeurés, écrasés, regards perdus...
L’enfer migratoire qui se déroule sous nous yeux de spectateurs depuis plusieurs années, retranscrit aux pinceaux, acquière une nouvelle force narrative.
Le traitement pictural, à la fois poussé sans être chargé, témoigne d’une grande maîtrise des corps et de la lumière qui rappelle les maîtres de la peinture maniériste. Les corps entrent en pesanteur dans un espace indéfini qui se confond avec eux, une manière de relier ces êtres humains et leurs histoires individuelles dans la tragédie collective dont ils sont
victimes. Jouxtant ou juxtaposant plusieurs toiles, des termes ou de déclarations, discours, textes obscurs tenant à la théorie de l’économie de marché, mise en abîme suffisamment puissante pour faire éclater la contradiction entre ces vies déracinées et les nécessités
« majeures » d’une économie mondiale qu’il faudrait à tout prix préserver.
Par son médium, Hélène Deghilage parvient ainsi à inscrire dans la durée un message fort, loin de la banalité des images en transit sur nos écrans.Retravaillées picturalement, avec un grand soucis du détail, des formes, des tensions et des couleurs, elle redonne un visage à ceux qui ne sont plus que des statistiques. Il ne reste donc au spectateur qu’à transformer
l’essai de ses émotions en actes concrets, à l’heure où à quelques encablures sont dispersés de Calais les imaginaires d’une vie meilleure.
Nico C., Liberté Hebdo
25 nov. 2016